maybe we should talk

 « I’m in the kitchen », lance Juniper depuis la cuisine, entendant la porte d’entrée s’ouvrir. Elle a perdu l’habitude de la fermer à clé, depuis qu’ils ont emménagé ensemble - il lui arrivait encore de fermer celle de sa petite maison de Götland, celle qu’elle avait habité seule avec ses livres. La présence d’Aron la rassurait et lui avait définitivement fait perdre cette habitude américaine qu’elle avait ramené avec elle de Californie. Les pas du Suédois résonnent dans l’entrée - il doit être en train de retirer son manteau, son écharpe, et toutes les couches qu’ils entassent depuis que l’hiver est tombé.  « I didn’t feel like cooking tonight so I got pizza », ajoute-t-elle en haussant légèrement la voix pour qu’il puisse l’entendre, Oli ajoutant un bref aboiement joyeux, à mi-chemin entre un jappement et un « bonjour ». Il ne faut que quelques instants de plus pour qu’Aron n’apparaisse dans leur grande cuisine ouverte, l’air fatigué et légèrement fermé, une expression qu’elle avait appris à reconnaître : il l’arborait quand la journée avait été longue, quand les clients avaient été plus compliqués que d’habitude, ou quand il pensait à quelque chose de peu agréable.

 « Hi.» June abandonne la salade qu’elle est en train de nettoyer, s’essuie les mains et vient les glisser sur les joues rugueuses d’Aron. Il ne s’est pas rasé ce matin, n’en a pas vraiment eu le temps, et le poil, bien que ras, frotte légèrement contre sa peau.  « Looks like you had a long day », souffle-t-elle avec un sourire tendre avant de venir l’embrasser doucement, ses lèvres s’étirant lorsqu’il grogne son mécontentement tout contre sa bouche sans réellement lui répondre. Ses mains, larges, chaudes, se posent sur sa taille, ses doigts se crispant légèrement contre son pull tandis qu’il ramène le corps de June contre le sien. Le geste est familier, intime, lent, un geste qu’ils répètent presque tous les soirs en rentrant, lorsqu’ils prennent un instant pour se dire à nouveau bonjour, pour abandonner Visby de l’autre côté de la porte, pour se familiariser à nouveau, en quelques secondes à peine, avec leur maison, la présence de l’autre, cette vie à deux.  « A little whisky, maybe ? » Aron la laisse s’échapper à contre-coeur, son corps appuyé contre l’îlot central de la cuisine tandis que June attrape un verre et y verse deux doigts d’un whisky qu’elle lui a offert pour son anniversaire.

 « Maybe we can put a movie on and eat on the sofa, what do you think ? » Il hoche la tête, lui répond par l’affirmative et s’affaire déjà à porter les assiettes et les verres avant qu’elle n’ait eu le temps de lui demander comment sa journée s’était passée. June le regarde s’éloigner, sourcils froncés, incapable de mettre le doigt sur la raison de son mutisme - non pas qu’il y ait forcément de raison, avec Aron, mais il était en général plus bavard, dans leur maison, quand ils n’étaient que tous les deux.

Il ne leur faut qu’un petit moment pour tout installer - les couverts, l’énorme pizza couverte de fromage et fumante, la salade fraîche, la bouteille de vin et le verre de whisky d’Aron -, pour choisir un film sans conséquences à la télé, pour s’installer sur le canapé. Juniper se penche pour attraper une part, la plie entre ses doigts, en arrache une bouchée avec un « hm » de contentement tandis qu’elle étire ses jambes pour poser ses pieds sur les cuisses d’Aron, récoltant un regard en coin vaguement contrarié.  « What got you grumpy today ? As something happened at the Sheep ? » Elle ne s’inquiète pas vraiment, June, malaxant gentiment sa cuisse de ses orteils pour l’ennuyer ou l’amuser, observant son profil qui ne se détend pas vraiment - est-ce une impression ou est-ce que ses sourcils viennent encore de se froncer ?