(Sherlock) the great escape

Une fois à la maison, j'embrasse mes mères et m'isole rapidement dans ma chambre. Je suis les petites habitudes que j'ai mis en place depuis quelques semaines : démarrer mon ordinateur, lancer une playlist Youtube, et surtout, envoyer un message à Sherlock. Je suis témoin de la journée éprouvante qu'il a dû vivre, formant alors en moi ce besoin de divertir son esprit. J'ai envie de l'emmener loin des moments humiliants et désagréables, de lui permettre de ressentir de l'apaisement grâce à nos échanges.

Les journées merdiques. Un vrai bonheur. Bon, en soit, la moitié de mes journées sont des journées merdiques, et pour ce qui est de l'autre moitié... en l'état actuel, elle me semble tellement inexistante, je n'arrive même pas à me souvenir de quoi que ce soit qui puisse être en rapport avec. Dès que mon réveil avait sonné, j'avais su que ça allait être une journée de merde. Si j'en croyais mes médecins, ça finirait par devenir devenir des moments plus distincts et ne plus être mon état "normal", que ce ne serait plus autant tout ou rien. Avec les années. Et la thérapie. La gestion de ses émotions qu'ils disaient. Ce dont je n'étais présentement pas capable, et surtout pas en ce moment avec le déménagement ici, sur cette île paumé. Quand j'avais ouvert les yeux ce matin, c'était comme si tout avait toujours été ainsi, comme si j'avais toujours aussi cette pression dans la poitrine, comme si être au bord des larmes en permanence était justement normal pour moi. Pendant de longues minutes, j'étais resté assis sur mon lit à fixer le mur, me demandant si j'avais vraiment besoin d'aller au lycée, s'il n'y avait pas un moyen pour que je puisse rester au fond de mon lit et ne plus jamais en sortir. C'est ma mère qui est venue me chercher. Je crois que depuis le diagnostic, elle a fini par reconnaître quand ça n'allait pas. En un seul regard, elle a comprit. Mais au moment où j'espérais qu'elle me laisserait là... Non. Juste un câlin, plutôt long certes, et puis un ordre à demi dissimulé de venir prendre le petit déjeuner. Sans surprise, mes médocs m'y attendaient.

Quand je suis rentré chez moi après le lycée, j'ai laissé tomber mon sac devant la porte, et j'ai craqué. Les larmes sont sorties toutes seules sans que je puisse les contrôler. De toute façon, je n'en avais pas la force. Debout contre la porte, je pleurais comme un idiot, et heureusement, j'étais seul chez moi. Enfin, pas pour très longtemps, mes parents avaient faillit m'enfoncer la porte dans le dos en rentrant, les bras chargés par nos gros sacs cabas pour les courses. Ils n'ont pas loupé ma tête, mais j'ai coupé toute question en allant m'enfermer dans la salle de bain, et tant qu'à faire, je m'étais fait coulé un bon bain chaud. C'était une des seules choses qui parvenaient à me faire du bien quand j'étais au plus bas, ça chassait les idées noires. J'y étais resté un moment, jusqu'à ce que mes doigts et mes orteils soient tout flêtris, fuyant toujours mes parents. Sur mon lit, je m'accrochais comme toujours à mon téléphone. Et là, il y avait une autre des choses qui me faisait me sentir bien : un message de Magnus. Un petit sourire s'était dessiné sur mes lèvres malgré le pincement à la poitrine qui ne m'avait pas quitté de la journée.

Ma maison est le seul endroit dans lequel je peux chasser le malaise permanent, développé par cette carapace de gros dur qui ne me correspond pas. Je peux aussi envoyer des messages à Sherlock, sans me préoccuper des regards curieux de mes potes qui pourraient découvrir les messages. Le soir, c'est le moment de la journée où je peux être moi-même et sourire sans le commander, chaque fois que je reçois un message de sa part. Il est loin d'imaginer à quel point il peut me détendre au quotidien.

LifeOnMars
C'est la première chose que j'ai faite en rentrant chez moi, je crois que c'était vital pour nous deux. Tu devrais aller manger, même un peu et sans appétit, sinon c'est avec moi que tu vas batailler. Je te montre le dessin seulement si tu manges.
La chanson en envoie, c'est ce qu'il faut pour se réveiller avec énergie le matin.    J'aime bien celle sur laquelle ils dansent aussi, ça me donnerait presque envie de danser moi aussi.
Bon, ton animal/insecte favori ? Sinon tu auras le droit à une araignée toute moche.

Je ne sais que trop bien qu'un manque de nourriture ne le rendrait que plus fragile face aux épreuves, renforcerait la dépression. Je me suis plus ou moins sorti de l'anorexie et je n'ai pas la moindre envie que Sherlock tombe dedans. Alors je l'oriente subtilement vers l'alimentation, par le moyen de la compensation. Je n'ai pas envie de lui faire de leçon de morale, mais je ne peux pas m'empêcher de prendre un minimum soin de lui, à distance. Tant pis si j'ai l'air d'un chiant qui fait du chantage.

C'était fou ce qu'un simple message pouvait faire du bien. En dehors de ceux que m'envoyait ma sœur plusieurs fois par semaine, les messages de Magnus avaient le don de me rendre le sourire, même après la pire des journées... comme aujourd'hui. C'était frustrant par moment, parce que j'aimerai partager plus avec lui que des conversations virtuelles, j'aimerai passer du temps avec lui, physiquement, traîner avec lui... mais en même temps, je n'osais pas lui poser la question. Et puis, les chances qu'il se trouve lui aussi sur Visby étaient pour ainsi dire nulles, fallait bien être réaliste. Sans compter que mes parents n'accepteraient jamais que je retourne en ville pour rencontrer un parfait un inconnu à leurs yeux. Alors je passais des heures sur mon téléphone, dès que possible, je lui parlais jusqu'à m'endormir avec mon portable en main.

Me détendant un peu sur mon lit, sans jamais lâcher mon smartphone, j'entourais mes bras autour de mon gros panda en peluche, mon doudou, relisant plusieurs fois le message que j'avais sous les yeux avant de taper rapidement ma réponse. J'étais rassuré dans un sens de voir qu'il s'inquiétait pour moi. Dans nos nombreuses conversations, j'avais vaguement glissé ma maladie entre deux sujets, ne voulant pas trop m'y attarder, surtout parce que j'avais peur qu'il refuse de me parler après ça. Généralement quand je parlais de mes problèmes, on me mettait directement dans la catégorie des fous et on m'évitait, comme si c'était contagieux. C'était ce qui était arrivé à Stockholm dès qu'on m'avait diagnostiqué, depuis, j'essayais de le cacher. Sauf au lycée. Parce que tous mes profs étaient au courant, pareil pour la direction du lycée. Et fatalement, tout le monde était au courant. Et sans surprise, on me traitait de fou aussi. Entre autres insultes.

Comme le souligne Sherlock, je ne suis pas censé lui écrire en journée, parce qu'on doit se concentrer sur nos cours respectifs, mais aussi parce que je prends chaque fois un risque inconsidéré. Mes potes pourraient découvrir notre correspondance, même si je tente chaque fois d'être discret. Je prends aussi le risque que Sherlock s'accroche aux messages de Magnus plus qu'à la réalité, n'essayant alors plus de s'ouvrir aux gens autour de lui. Je limite  les envois, bien que ce soit difficile de lutter contre l'envie, quand durant nos cours communs, Sherlock est en train de zieuter son écran plusieurs fois dans l'heure, espérant une réponse, une marque d'attention - un signe de ma part, ou plutôt de la part de Magnus.

LifeOnMars
Ça a été, mais il fallait que je reste concentré, j'ai préféré ne pas te contacter aujourd'hui, alors ça ressemble quand même à une récompense.   Tu veux en parler, de ta journée ?
Tu peux éviter leurs questions autant que tu veux, mais tu ne pourras pas les empêcher de s'inquiéter en te voyant t'enfermer dans ta chambre. Tu devrais simplement leur dire que tu es fatigué et que tu n'as pas envie de parler ce soir, sans les tenir éloignés de toi. Mais tant que tu manges, le dessin te sera montré quand il sera terminé. Il sera beaucoup plus mignon qu'une araignée.  
Et pourquoi je me moquerais pour le panda.   L'ours polaire. Suivi du hérisson et du renard. J'adore les dessiner.
Pour Queen, même si ce n'est pas la plus représentative du style habituel, celle-là, parce qu'elle me donne envie de bouger et me rend heureux. Et toi ?

Ça me donne surtout envie d'être amoureux, malgré la peur de l'être. Puis-je le confier à Sherlock, alors que justement, notre relation est empreinte d’ambiguïté et d'un rapprochement qui se précise au fil des jours ; alors qu'il est de plus en plus dans ma tête ? Je ne crois pas que ce soit judicieux de faire une association, je donne des raisons moins poussées pour ne pas révéler les doutes sentimentaux qui me troublent au quotidien.
C'est surtout la valeur émotionnelle que j'attribue à cette chanson qui me pousse à l'adorer autant. Je l'aime parce que mes mères accompagnent chaque fois le rythme de la mélodie, par des mouvements dynamiques de bras et de hanches. Quand elles dansent, rient, transportées par ce bonheur candide, je ressens et perçois enfin ce qui les lie avec tant de beauté ; je comprends ce que c'est, la « Crazy Little Thing Called Love ».

Si j'avais un grand sourire en attendant et en lisant les messages de Magnus, je le perds assez vite en arrivant à certaines lignes. Alors ouais, peut-être qu'il s'inquiétait pour moi, parce que ça fait un moment qu'on se parle par SMS, mais... là ça m'agaçait. Ça m'agaçait parce qu'il se comportait exactement comme mes parents, et il leur donnait raison de se montrer aussi envahissant. C'était peut-être vrai, mais ça n'empêchait que c'était lourd. Il y avait beaucoup de bonnes intentions derrière ses propos, je n'en doutais pas... Sauf que je n'étais pas en état de prendre du recul pour m'interroger sur la justesse de ce qu'il disait ou sur mon propre comportement. Pinçant les lèvres, j'observais un moment l'écran de mon téléphone, les pouces en suspend au-dessus du clavier tactile. Pour ne pas tout gâcher, pour ne pas risquer de perdre pour ainsi dire le seul ami que j'avais, même s'il était virtuel, je ne devais pas écrire sans réfléchir, même si ça me prenait énormément de temps pour répondre et que ça me faisait un peu bouillir.

Je m'étais souvent recroquevillé sur moi-même, dans mon lit, ignorant l'inquiétude de mes mères qui venaient seulement m'embrasser avant de se coucher, comme un rappel pour ne pas que j'oublie qu'elles étaient là. Puis les jours défilaient et je ne supportais plus leurs questions constantes, auxquelles je n'arrivais plus à répondre. Je m'étais finalement contenté de manger avec elles, de regarder des films, de feindre le bien-être. Je ne prononçais aucun mot qui aurait pu trahir la vérité. Je m'étais renfermé dans un mensonge, ne vivais plus qu'à travers mon monde irréel. Je m'étais totalement perdu. C'est que plus tard que je me suis rendu compte de la souffrance et l'angoisse que j'avais causées à mes parents, en me voyant m'effondrer peu à peu. J'aurais tellement voulu que le jeune que j'étais sache qu'il pouvait compter sur elles, ou qu'il leur confie la peine et les mauvais traitements. Alors je reproduis la mise en garde sur Sherlock. Je le conseille de ne pas les tenir éloignés, parce qu'ils ont le pouvoir de changer sa situation. De l'aider. Je ne peux pas non plus l'obliger à me parler, alors que son seul besoin c'est justement qu'on l'amène loin de cette réalité. Pas qu'on lui rappelle.

LifeOnMars
Tu peux l'être, c'est positif, parce que ça me motive pour la journée.
Bon d'accord, tu l'as bien mérité. Je t'en ferai un géant une fois :

Je ne peux absolument pas croire que tu ne trouves pas ça mignon :

C'est impossible, c'est bien trop chou un hérisson.

C'est justement ma seconde préférée. Tu t'es déguisé alors et tu as passé l'aspirateur ? C'est tes parents qui devaient être contents. Oh tu ne peux pas me dire ça et ne pas montrer cette vidéo !!! C'est cruel ! Comme ça quand tu seras encore plus connu, je la diffuserai aux journalistes et je me ferai une tonne d'argent.
Oh non, je ne suis pas assez doué pour avoir un petit public. C'est seulement pour me changer les idées et changer les tiennes aussi de temps en temps. Ça me va, que l'asiat soit mon seul spectateur. (et ça va la grosse tête ? ) Et toi, tu as d'autres projets en dehors de la série, ou elle te prend déjà trop de temps ?

Deux ans, c'était encore assez nouveau pour dire que toute la famille était habituée à ma maladie, pour dire que tout le monde savait y faire. Mes parents suivaient à la lettre les conseils de ma psychiatre, et même si ça leur coûtait beaucoup, quand ils me savaient en phase dépressive, ils me laissaient tranquille, non sans laisser quelques petites attentions à mon égard. Là, ce soir, je ne l'étais pas, j'étais surtout en colère envers ces cons au lycée, et même mal tout court de cette journée de merde Parents ou non, à raison ou non, je ne supportais aucune sollicitude. Et si le précédent message de Magnus m'avait vraiment irrité, qu'il n'insiste pas plus au sujet des parents me soulageai. Mieux, j'étais fasciné par les dessins qu'ils venaient de me faire passé. Bien évidemment, j'étais en adoration devant le panda, qui était de loin le plus beau des deux. Mais ouais, le hérisson n'était pas si mal. Je n'étais pas sûr de voir ce qu'il y avait de mignon avec ces animaux, mais soit. J'enregistrai les photos dans mon téléphone, le panda allait par ailleurs en fond d'écran, et prévoyais déjà de les accrocher au mur. Mais pas de façon trop visible, histoire d'éviter les questions gênantes.

Je me redressai pour m'asseoir en tailleur sur le lit, serrant toujours Boubou contre moi. La tournure que prenait la conversation me plaisait bien plus. Parler de lui, de son art, de la série, de ce que je voulais faire pour l'avenir, c'était bien mieux ! Même si c'était agréable d'avoir quelqu'un avec qui parler de tout, je préférais largement quand on parlait de choses bien plus joyeuses de ce genre. En même temps, dès le départ je n'avais pas cacher ce que je faisais, je lui avais envoyé plein de photos et de vidéos que j'avais faites sur le plateau. J'attendais d'ailleurs les prochains tournages avec impatience pour lui en envoyer des nouvelles en direct. A part avec mes parents, qui se montraient plus méfiants qu'autre chose pour la série, il était le seul avec qui je partageais tout ça. Et surtout, le sujet était inépuisable. Je m'interrompis un moment dans la rédaction de ma réponse pendant que mon père passait un court instant dans ma chambre, pour demander comment ça allait et aussi jeter un rapide coup d’œil à mes cours de maths. La joie d'avoir un père prof de la matière qu'on déteste le plus.