100% Coton. || César

Nae termine sa bière avec une descente de pure aventurière et se lève en essuyant la mousse de ses lèvres.

« J’ai un rendez-vous, il va falloir que je file. »

Je sursaute, la rattrape par la parole comme je sais si bien le faire, faisant sursauter Jonathan qui jouait sur sa console.

« Hein ? Mais non, mais me laisse pas ! Tu vas où ? »

Naemi saisit sa veste et la passe sur ses épaules, roulant des yeux et rejetant en arrière ses très longs cheveux coincés dans son col.

« Ca te regarde pas dugland. T’as qu’à m’attendre ici, tu connais les bases non ? Tu vas pas mourir sans ton interprète pendant quelques heures. »

« Bah et si tu rentres pas, hein ? »

Ma co-équipière hausse les épaules, lance un regard énigmatique et un billet sur la table pour payer ses conso.

« T’as un joli sourire, tu te débrouilleras. »

Elle se casse sans demander son reste, me laissant seul dans le bar à cuver mon café, parce que j’ai toujours autant de soucis avec l’alcool. Jonathan qui a appris à lâcher les écrans me demande le droit d’aller jouer au foot avec les gamins dehors, parce que y’a pas de barrière de langue chez les gamins. Je le laisse partir en me roulant une clope.

Je regarde une nénette passer, qui me renvoie un regard noir, accueilli avec la tranquillité absolue du type qui se pense dans son bon droit ; c'est un truc ici, j'ai du mal à m'y faire, se comporter comme un gros macho n'est pas considéré comme normal.
Au Mexique pourtant, ça l'est totalement... Bon et c'est mon père qui m'a appris que plus tu te comportes comme un gros con, plus t'as la paix ; mon père a pas inventé la poudre par contre c'est un mec observateur.
Donc ?
Je me comporte comme un gros con, la plupart du temps. J'attire l'attention de la serveuse mais elle arrive pas à se débrouiller avec trois commandes en même temps et je me motive à me bouger, manquant de marcher sur un gosse qui me file entre les pattes.

« Sale gosse », je crache dans son sillage, avec un rien d'affection – si, j'aime bien les enfants, et non, pas avec un peu de sel pour assaisonner – et m'accoude au bar à côté d'un type qui a les yeux bleus du coin. Je parle à la serveuse, agitant mon verre avec un clin d'oeil séducteur : « Hey tequila cariña ? »

Elle comprend que dalle à mon accent bien mexicain et je m'adresse à mon voisin, en anglais :

« Savez, vous, comment on dit tequila en suédois ? Aucune putain d'idée. »

Le type qui se pointe semble tout droit sorti d’un portail spatial, car je crois bien reconnaître de l’Espagnol, que pour le coup je maîtrise pour avoir voyagé assez souvent dans des contrées qui le parlaient. Par contre le suédois n’est toujours pas ma tasse de thé, même après un mois et demi dans le coin.
Je hausse les sourcils et émet un bruit évocateur de mon ignorance du bout des lèvres – qui ne doit pas être poli en suède parce que la serveuse me lance un regard noir de ses yeux bleus clairs qu’elle a si jolis.

« J’suis pas du coin mec, mais tu peux toujours lui montrer ce que tu veux. Quoique je suis même pas sûr qu’ils aient ce genre de truc ici. C’est pas trop le genre de la maison. »

Je torche les dernières gouttes de mon café qui se font logiquement très amères.

« Qu’est-ce qu’un Espagnol vient faire dans un pays aussi froid ? »

Je me redresse derrière le comptoir en tentant d'apercevoir une bouteille de ce que je voudrais, mais il a raison le type, y a pas l'air d'y avoir ce que je veux. Je soupire comme une âme en peine en me demandant combien de temps encore je vais rester coincé ici.
La serveuse qui a enfin terminé avec les autres commandes revient, et me propose dans son baratin suédois une boisson que j'accepte d'un haussement d'épaules négligent ; si j'étais elle, je me serais servi le truc le plus cher pour me punir de pas savoir me démerder dans la langue.
Je souris au type de derrière mon verre :

« Mexicain, en fait. »

La différence est importante.

« M'appelle César. J'suis ici pour affaires. »

Wééé, tu parles, mais bon c'est une couverture comme une autre. Je baisse les cils sur les yeux pour jeter un coup à sa clope roulée, la désignant d'un coup de menton :

« J'vends du tabac. Et toi, qu'est-ce que tu fous là ? »

Je demande pas d'où il vient ; y a bien qu'un amerloque pour confondre des espagnols et des mex, alors qu'ils vivent à côté des uns et loin des autres.

Je roule des yeux.

« Oui bon c’est pareil. »

Comme tout bon Américain je peux faire preuve d’une très mauvaise géographie, et ne sais situer l’Espagne et le Mexique que parce que j’y suis réellement allé, ne les différenciant que parce que je me souviens de la différence de thune que j’ai du débourser en partant de New-York à chaque fois.
J’entends encore Aidan soupirer lorsque j’ai percuté comme un con en face de son ordinateur que j’avais emprunté en squattant chez elle pour acheter les billets.

« Oh, je vois, classe. Les Suédois doivent te faire un paquet de fric vu leur niveau de vie. »

Il a pas l’air d’un homme d’affaires, mais les hommes d’affaires sont différents au Mexique. J’observe sa communication bancale avec la gentille serveuse que je gratifie d’un sourire charmeur, avant de suivre son regard tombant sur ma main. Je lui présente mon poing à demi refermé, entre les premiers doigts duquel s’est coincée la clope.

« C’est pas du tabac. » Je lui adresse un clin d’œil et enflamme le bout de la cigarette-maison. « J’voyage juste, avec mon fils et une copine. Tour du monde, vagabondage. »

Je fixe un regard noir sur lui, un peu agacé qu'il ose dire que mon pays est pareil que l'Espagne : parce que non c'est pas du tout le cas. Mais que peut-on attendre d'un américain hormis une superbe ignorance.
Je siffle légèrement entre mes dents, attirant l'attention de la serveuse sans le vouloir.

« J'imagine que t'es pas du Texas ou des environs alors, sinon tu connaîtrais mieux le Mexique. »

Bon après je la ramène mais pour moi les USA c'est surtout une grosse manne de pognon même si c'est pas moi de la bande qui suis chargé des relations avec l'extérieur ; pas assez diplomate qu'ils disent. C'est sans doute vrai. J'ai un assentiment dans un rire :

« Clair, ils sont pétés de thunes ici. »

J'ai été assez affolé de ce que j'ai du débourser depuis que je suis arrivé, sans même parler de la somme d'argent qu'il me fallait pour avoir le droit d'atterrir. Je hausse des sourcils :

« T'as des couilles de fumer ça ici, ils sont pas très tolérants me semble bien. »

Enfin il fait ce qu'il veut !

« Oh je vois, cool. T'as fait quoi comme pays ? »

Je me retourne pour avoir le comptoir dans le dos, la serveuse ne paraissant pas dangereuse et de toute manière très occupée.

« J’y suis allé une fois, et j’en ai gardé de supers souvenirs si tu veux savoir. Mais pas au point d’énumérer la main sur le cœur et la voix vibrante de patriotisme les différences que les deux pays ont l’un avec l’autre. » je lâche avec nonchalance.

Du Adrien pur jus, tu vois, qui ne se formalise même pas du regard noir qu’il prend d’un mec qu’il vient juste de rencontrer et d’insulter. Parce que fouteur de merde et incorrigible peste, toujours prêt à provoquer et à se barrer en courant aussi sec.

« C’est bien la première fois qu’on me fait ce compliment, merci. »

Et pour l’instant personne me vire mais effectivement, ça ne saurait tarder. Nae n’est pas là, mon fils est dehors, et c’est un tout petit bédo de rien du tout, pas de quoi en faire un drame.

« Ca va j’ai pas allumé une bombe non plus. » je relativise. « Adrien, au fait. »

Il prend la décision de me lancer sur mon sujet de conversation préféré, et en plus dans une langue que je comprends ; brave type !

« Pour l’instant j’ai fait toute l’Amérique et un petit bout de l’Europe. J’avais besoin d’un peu de fraîcheur alors j’ai fait l’Islande, et j’y ai trouvé une compagne de voyage qui avait besoin qu’on l’accompagne dans le c- oh, mon dieu ce cul. »

La serveuse vient de se baisser pour ramasser quelque chose et je contiens une remarque purement machiste en mordant ma paume une fois ma fumée recrachée.

« Rien d'étonnant pour un américain quoi », je commente lapidairement, ayant une idée très arrêtée sur les défauts de mes voisins, et la rancoeur de tout habitant de pays pauvre habitant à côté d'une des grandes puissances mondiales.

Les américains si tu m'écoutes ont ruiné mon beau pays et nous ont foutu dans une merde noire, à laquelle nos caractères un rien emportés n'ont rien arrangé ; heureusement ils se dédouanent un peu en étant un marché super intéressant niveau drogue et contrebande. Je ris doucement :

« T'habitues pas trop alors. »

Je salue le fait qu'il me donne son prénom en levant mon verre dont je bois une gorgée ensuite ; mauvais tirage, j'aime vraiment pas trop l'alcool local, mais faut dire que je suis habitué aux saveurs de chez moi. Avant de partir, j'étais jamais sorti du Mexique, et assez rarement du Sinaloa, alors je résiste à à peu près toutes les saveurs qu'on peut proposer ici. Je déteste le saumon et j'ai l'aneth en horreur, donc je suis un peu au régime sec.
Faut vraiment que je me démerde pour trouver un rade qui propose de la teq.

« Nah mais ils sont pas tolérants, et si y a des flics tu vas te retrouver dans une situation compliquée. »

Mon regard tombe, intéressé, sur la croupe de la serveuse qui se fait joyeusement reluquer, et peu discrètement en plus, par Adrien à mes côtés, tandis que moi je matte tranquillement, et en silence. J'aime bien les suédoises, pour le coup, ça change fort des filles de chez moi et je suis moins compliqué en sexe qu'en bouffe.

« Ah je vois, tu joins l'utile à l'agréable, alors. Elle s'occupe de ton mouflet au moins ? »

Bah quoi ?

« Vous faites partie des colonies autant que nous, commence pas à me prendre de haut m’sieur chorizo. »

J’éclate de rire parce que je trouve ma blague très drôle, souffle une fumée certes épaisse mais pas opaque, qui montre que la clope n’est pas constituée uniquement de tabac certes, mais ne transformera pas le bar en aquarium, et moi en légume parce que j’ai quand même mon fils à récupérer derrière. Je lui jette un coup d’œil, le regarde traverser la cour en face du bar, avec ces réflexes de père que j’ai repris peu à peu.

« J’aime pas les habitudes. »

Sinon je serais pas voyageur à plein temps. Sa remarque m’adoucit le visage dans un jeu exagéré.

« Oh c’est tellement adorable de te soucier de moi, mec. Mais tu peux aussi t’occuper de tes affaires, tu sais ? »

Je lui adresse un lumineux clin d’œil bleu, œil qui remonte lentement le long de la colonne vertébrale de la serveuse qui se redresse et dont la chute de reins pourrait promettre des nuits torrides à la chevaucher tout en tirant sa longue tresse d’un blond presque blanc comme on le ferait avec les rênes d’un cheval furieux.

« Totalement. » je réponds le regard vide, avant de cligner des yeux. « Non pas du tout, c’est pas ma meuf. La mère du p’tit m’a lâché, c’est moi qui m’en occupe. »

Ah Joanne aura jamais le beau rôle avec moi, jamais, déso pas déso.

« J'te prends comme j'veux », je réponds dans un grognement, pas très fan des surnoms, et de toute manière ayant la propension à juger tout ce qui me passe sous le nez impitoyablement.

S'il croit que ça va changer parce qu'il est américain, eh beh certainement pas. Je suis vaguement du regard le sien, percutant que le mouflet qui m'a bousculé est sans doute à lui, notant paresseusement l'information avec l'habitude du mec habitué à être au courant de tout, arque un sourcil à sa remarque.

« ça je l'avais deviné... »

J'ai un rire à sa rebuffade, déposant mon verre en le claquant un peu fort – j'ai cette tendance des mecs de chez moi, enfin, sauf mon petit frère Inigo qui est d'une discrétion de sale fouine – à faire trop de bruit.
J'ai pu remarquer que ça passe moyen chez les Suédois, mais on change pas 28 années de vie comme ça d'un claquement de doigts.

« Je sais, je suis adorable. »

Pas du tout, mais alors clairement pas. Je m'appuie plus franchement d'un coude sur le bar, réfléchissant en pinçant les lèvres :

« C'est quoi l'intérêt de voyager avec une meuf si elle s'occupe pas de ton gosse et que tu la baises pas ? »

« Ce soir à minuit dans le terrain vague, choisis ton arme, c’est ça ? Pas de doute, t’es bien un foutu Mexicain. »

S’il y a bien un truc que j’ai pas hérité de ce merveilleux (lol) pays qu’est l’Amérique, c’est bien la violence. Il faut dire que mon enfance m’en a particulièrement bien vacciné. Je me décale un peu sur le comptoir, à la fois par manque d’envie de prendre une baigne, et parce que la drogue qui s’infiltre dans mes veines a tendance à me tranquilliser, ce qui n’est pas pour me déplaire. Le verre claque fort juste à l’endroit où se situait ma main avant, et je laisse à l’autre dont j’ai déjà oublié le nom le plaisir de faire le mâle alpha.
Il va pas se sentir trop comme chez lui ici ce gars-là, je ne te dis que ça.

« Pas des masses. »

Par contre la serveuse là-bas, elle l’est. Elle passe à côté de moi, renifle la senteur de ma cigarette d’un air curieux, mais disparaît bientôt derrière les tireuses à bières irlandaises du comptoir.

« C’est mon interprète et mon porte monnaie. Elle tu vois, je suis sûr qu’elle sait demander une tequila. »

La remarque sur ses couilles me revient en tête alors qu'il semble totalement abandonner la moindre idée de se faire respecter, ou de ce que moi j'estime être du respect. Je hausse des épaules, un peu déçu sans trop savoir pourquoi.
J'aime bien me colleter avec les gens, c'est maladif chez moi : c'est une tradition aussi, et quand on me laisse pas le faire, je suis chafouin. J'ai un faux sourire de requin quand il déclare que je ne suis pas adorable : j'aime bien quand on me cerne comme ça, rapidement.
Je hausse des sourcils :

« Oh, je vois. »

Pas trop d'indépendance le garçon. Je tends l'oreille en entendant la serveuse murmurer, et je me demande bien ce qu'elle a à raconter aux tireuses à bières... Avant de percuter. Elle doit certainement appeler les flics à cause de la cigarette trafiquée de l'amerloque.
Tain.
Je me redresse d'un coup de hanche souple, lui fais un signe :

« A mon avis c'est le moment que tu récupères ton gosse et que tu files de là. La flicaille va débarquer dans peu de temps, j'pense. »

J'adresse un regard froid à la jolie serveuse, qui me fait un sourire nerveux ; ouais j't'ai vue venir toi, des comme toi j'en ai vu des centaines.

« Hm ? C’est juste. »

J’écrase mon joint dans mon verre, me penche par dessus le comptoir.

« J’te file pas mon numéro hein, bye poulette. »

Je descends de mon tabouret, passe mon sac par dessus mon épaule et adresse un signe de la main au gars avec qui je conversais jusqu’à présent ; et je me barre sans payer ou du moins en lui laissant la commission, parfaitement, parce que c’est Nae qui est partie avec le fric qu’on avait – enfin le fric qu’elle avait et que je lui tape parce que je suis un putain d’irresponsable qui sait pas se gérer.

Je hèle Jonathan qui joue tranquillou avec ses potes.

« Allez minus, on va crapahuter un peu avant qu’il ne fasse totalement nuit. »

L’été est encore bien installé, et il va faire nuit tard ; c’est l’occasion.

La serveuse n'a pas l'air triste, et il se tire, je le comprends un peu tard, sans payer. La jolie serveuse hésite un peu avant de me demander le prix des consos, mais l'amerloque est déjà parti, et je vais pas faire un scandale en lui courant après.
Bon prince, je règle la note en me promettant de régler le souci plus tard ; et j'ai beau pas avoir été à l'école très, très longtemps, j'ai une très bonne mémoire.

Je suis ressorti du bar avant que quelqu'un d'autre me prenne pour un pigeon, allume une cigarette qui a tout d'une industrielle ; je dois donner l'exemple si je veux vendre du tabac. Un grand suédois me regarde de haut, facile, il fait une tête de plus que moi, mais je me faufile et l'ignore, à la recherche de mon américain qui me doit de la thune.
J'ai précisé être entêté ?
Non ?
Bah j'le fais ; j'suis sacrément entêté. J'ai retrouvé le gosse avant le père, quelque part sur une place de marché, en train de parlementer en baragouinant avec d'autres gamins. Je passe comme une ombre, chope le père par le colback.

« Tu me dois de la thune, toi », je fais dans un sourire – adorable pour le coup.

J’me suis barré comme une ombre avec l’air du type qui a l’habitude de se foutre dans les emmerdes et de se tirer aussi sec. L’avantage quand t’as été flic toi-même pendant plusieurs années c’est que tu sais comment ils fonctionnent et tu sais donc comment les éviter. Je sais donc que je dois me rendre sur une place où y’a masse de monde, ce qui n’est pas difficile à trouver quand il fait nuit à vingt-trois heures.

Mon cœur fait un bond dans ma poitrine quand je me fais choper le col, et je me retourne pour faire face à monsieur chorizo.

« Ah ! Bah c’est con j’en ai pas sur moi. »

Je me dégage de son emprise dans une enfilade de réflexes que ne possèdent que ceux qui se sont fait régulièrement tabassés dans leur enfance et même après.

« J’te vends mon fils si tu veux. Il parle pas suédois et il sait foutre pas ce que c’est que la tequila mais il est toujours de bonne humeur et il prend pas trop de place. »

Il brise la prise lâche que j'avais sur lui, mais je fais un pas de côté pour le garder en face de moi, et avec son gosse dans mon dos. J'arque un sourcil à sa proposition désinvolte, n'ayant pas vraiment la tête à faire de l'humour – c'est de l'humour hein ? …
Le joint était ptêt un petit peu fort pour sa petite tête, c'est ce que je me dis à ce moment-là. Je tire sur ma cigarette en le considérant, cherchant à savoir s'il est armé – chez moi c'est courant ok ? –, en conclus que non, et esquisse un geste de négation.

« J'veux pas d'un gosse, j'prends que ce qui a de valeur marchande, démerde-toi. »

Des gosses, j'ai déjà ce qu'il faut au pays s'il faut en croire certaines gonzesses, mais comme je suis pas persuadé je m'en suis jamais vraiment préoccupé, à vrai dire, au grand dam de ma mère. Elle compte sur le petit pour combler ça, mais il a le temps de voir venir.

Je regarde vaguement autour de nous et me demande s’il va avoir l’audace de m’en mettre une devant tout le monde pour un kawa à deux balle soixante.

« Bah écoute c’est pas compliqué, soit tu fais demi-tour pour récupérer le bout du joint que j’ai pas terminé, soit tu te mets à quatre pattes et tu prends un coup de bite, c’est pas grand-chose mais on parle d’un café, et on est pas dans ton bidonville à fajitas donc tu ferais mieux de descendre d’un étage. Tu saisis ? »

Jonathan termine de parlementer avec ses potes et daigne enfin se rapprocher de moi, en demandant du regard très bleu de son père qui diable est ce grand monsieur qu’il ne connaît pas.

« Sinon on va faire un petit tour au poste tous les deux et on leur laisse cinq minutes pour déterminer qui du mex bronzé là pour des ‘affaires’ ou du père de famille ancien policier est le plus crédible dans une histoire de bédo et de café oublié. Tu préfères quoi ? »

Mon regard est diablement trop sérieux, dit souvent ma mère, qui déplore d'avoir eu un fils aîné ressemblant si fort à son père ; mais là elle aurait tort parce que je suis amusé par sa manière de se dépatouiller de cette histoire, certes ridicule, mais je m'ennuie depuis que je suis arrivé dans ce pays aseptisé à des années-lumière de mon environnement natal.
J'ai donc un ricanement à sa proposition qui ressemble franchement à une insulte, puis à ce qui ressemble à une menace. Venant d'un mec qui a pas un kopeck en poche, c'est gonflé.

« De nous deux c'pas moi qui me ferais enculer, crois-moi. »

Je déclare ça avec l'oeil qui pétille d'amusement, parce que sérieusement qui va proposer ça à un autre gars hormis les maricons ?... Ouais, personne.
Je tourne le regard vers le gamin qui revient dans notre proximité en se méfiant naturellement de moi puisqu'il ne me connaît pas, laisse échapper un rire sec :

« Ancien flic ? Tout s'explique alors, je comprends mieux. »

Le relent de racisme dont on se pare, nous les mex, comme d'une cape de guerre, et sa grande gueule, notamment. Je soupçonne que ça soit surtout de la poudre aux yeux, mais il y a trop de monde sur cette place et je hausse des épaules.

« Très bien, alors les flics si tu veux vraiment leur faire perdre du temps », je lève une main, lui fais signe de me suivre.

Je baisse les yeux sur Jonathan et lui adresse un clin d’œil auquel il répond par un acquiescement du chef, semblant se détendre, comme si ce geste résolvait tout pour un enfant de la part d’un adulte. Il ne relève même pas la grossièreté de mon vis à vis, ayant entendu des vertes et des pas mûres depuis que nous voyageons tous les deux – en dehors du fait que Joanne n’a jamais été connue pour la délicatesse de son langage.

« Ben voyons. Les grands machos au regard noir comme toi qui se font menaçant sont souvent les premiers à se foutre à plat ventre le cul en l’air. »

Je suis assez bien renseigné sur la question, on va dire. Je hausse les épaules lorsqu’il choisit d’aller au poste.

« Ca marche, passe-leur le bonjour de ma part. »

Aussitôt, Jonathan détale de son côté, et moi du mien. Chacun de nous se fond dans la foule, sans jeter un regard en arrière.
Ne jamais sous-estimer un mec qui a passé son enfance à éviter les coups.

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» César ~ Later bitches !