( dimanche 13 janvier ) --- aron

le bruit de la cloche résonne dans le jardin. elle arrive et d’une minute à l’autre, elle passera le pas de la porte pleine d’énergie. elle est déjà en retard, elle le sait parce qu’elle a déjà quatre appels en absence de sa grand-mère et un texto de son grand-frère <bouge ton cul>  no way buddy, i have got some business to do. elle n’avait pas pris la peine d’y répondre, parce qu’elle était déjà en ligne. il n’avait jamais été simple de joindre gala parce que 1/ elle avait tendance à perdre son téléphone à longueur de temps et 2/ quand elle ne le perd pas, elle est déjà en ligne, écouteurs aux oreilles – elle passe des calls pour le boulot t’sais. elle pousse la porte d’un geste rapide
- écoute james, j’dois te laisser, j’ai un truc qui commence. j’te rappelle tout à l’heure, merci
tout en essuyant ses pieds sur l’tapis de l’entrée, elle arrache ses écouteurs qu’elle tient dans sa main droite. elle connaît la maison par cœur, celle de son enfance, celle de ses premières aventures. et c’est en connaissance de cause qu’elle tourne d’abord à droite pour atterrir dans la cuisine, sanctuaire de sa grand-mère.
elle l’enlace et dépose un baiser sur sa joue.
- coucou ma petite mamie, ça va ?
elle râle un peu, mais elle a le sourire qui illumine son visage, son âme sage.
- ça sent trop bon se réjouit-elle
qu’est-ce que cela avait pu lui manquer lorsqu’elle vivait à l’étranger alors aujourd’hui, elle ne manquerait pour rien au monde un dimanche midi en famille. en parlant de famille, il y en avait encore deux qu’elle n’avait pas salué.
-  ils sont dans l’salon ? demande-t-elle
elle lui répond que oui alors gala n’attend pas une minute avant de tourner les talons et d’aller directement vers le salon, la pièce qu’elle préfère parce qu’il y avait une cheminée et ça jouait pour beaucoup.
elle posait son sac à main dans un coin en y jetant son téléphone vulgairement. elle ne le range pas et elle finira pas mettre cinq minutes à le retrouver au prochain appel.
- hé bonjour dit-elle avec un grand sourire comme si elle niait le fait qu’elle pouvait être en retard. son grand-père levait les yeux de son journal et aron faisait la gueule. la table était déjà mise attendant l'enfant chéri.  
- coucou papy et elle dépose un baiser sur son front dégarni avant de se jeter sur son grand-frère qui était assis juste à côté.
- le meilleur pour la fin, comment va mon frère préféré ?
elle l’encercle de ses bras fins et lui fit un gros bisous sur la joue, le genre de bisous un peu trop baveux – elle l’entend râler
- qu’est-ce qui t’arrive, t’as mal dormi ? lui demande-t-elle au creux de l'oreille en rigolant.

Comme chaque dimanche matin, Aron s’était réveillé avec difficulté, dans son petit appartement de miséreux au dessus du Black Sheep. Il n’aimait pas particulièrement l’endroit, et n’avait jamais vraiment pris la peine d’y consacrer du temps ou de l’argent : ça, il les réservait à sa petite maison sur la côte, à 15 minutes de Visby. Il y allait le dimanche après le déjeuner et ne revenait en ville que lundi soir, souvent à contre-coeur. Mais en attendant, il était attendu, comme chaque dimanche midi depuis ce qui semblait être la nuit des temps, à déjeuner chez ses grands-parents. Son crâne résonnait encore de la musique de la vieille — le samedi soir était naturellement la plus grosse soirée de la semaine au pub, qui était le dernier établissement de la ville à fermer, au milieu de la nuit. Il se lève douloureusement, étire ses épaules et sa nuque, et prend la direction de sa minuscule salle de bain.

Il était arrivé en avance, comme d’habitude. Et comme d’habitude, il avait salué sa grand-mère, déjà aux fourneaux, puis avait échangé quelques minutes avec son grand-père sur l’actualité de la semaine. Entre plusieurs désolation à propos de Trump, du climat et de la dernière session parlementaire suédoise, Aron menait sa traditionnelle joute avec sa grand-mère. Tu veux de l’aide mamie? Non tu sais bien que cette cuisine n’est faite que pour une personne! Laisse moi mettre la table alors. Bon d’accord, si tu y tiens. Tu as eu des nouvelles de maman de ton côté? Oh, pas depuis le week-end dernier, quand elle était à Madrid. La discussion était à peu près toujours la même, de semaine en semaine, mais il ne l’aurait manqué pour rien au monde.

Il était bientôt midi trente, et toujours aucun signe de sa soeur. Son manque de ponctualité avait toujours agacé Aron : plus encore, il trouvait insupportable qu’elle arrive systématiquement à excuser son comportement en battant des cils ou avec de bons mots. C’était son truc ça, à Gala. Elle débarquait comme une météorite, captant toute l’attention, comme si la terre devait s’arrêter de tourner en sa présence, puis repartait aussi vite qu’elle était arrivée. A force, tout le monde s’y était habitué et plus personne ne lui en tenait rigueur… à part Aron. Une fois la table dressée, il s’enfonce profondément dans un des fauteuil moelleux du salon, et pianote sur son téléphone, distraitement, un air tempétueux vissé sur le visage. Il fait défiler sans entrain son feed instagram — Gala avait insisté pour lui créer un compte, il a plusieurs mois, mais il ne mettait pas beaucoup d’enthousiasme à l’alimenter — mais s’arrête très vite : il n’en a strictement rien à faire, du petit-déjeuner #vegan de Hanna ou du week-end à Venise de Karl. Il lâche l’appareil sur la table basse quand sa frangine débarque enfin.

Comme à chaque fois, elle fait son petit manège, attire l’adoration des grands-parents sans même s’excuser pour son retard, et se laisse finalement tomber sur les genoux de son frère. Aron fait mine de se débattre, exagère un peu sa mine de dégoût lorsqu’elle lui colle un bisou sur la joue. « Qu’est-ce qui t’arrive, t’as mal dormi? » Il n’y avait pas de motif précis à sa mauvaise humeur : c’était son attitude habituelle, plus Gala being Gala. Mais parce qu’il faut bien trouver une raison, il balance du tac au tac : « Peu dormi, ouais. Tu m’as de nouveau lâché pour vivre tes putains d’aventures et j’ai du fermer seul. » Ce qui était vrai. Gala avait certes un oeil aiguisé pour la déco, un sens aigu de la communication et un vrai sens des affaires… quand il s’agissait de faire le sale boulot pas drôle, elle s’évaporait régulièrement dans la nature. Particulièrement les samedi soirs. « J’ai de nouveau du trainer Manfred seul chez lui… sérieux, tu saoules. » Alors que leur grand-mère passait déjà la tête par l’encadrement de la porte de cuisine pour leur dire de se calmer, tous les deux, il ajoute, comme ça, juste parce que ça lui fait du bien : « Et tu pourrais T’EXCUSER d’être ENCORE en retard. » Aron était vraiment un rayon de soleil, le dimanche midi.